mardi 23 mars 2010

C'est de nos corps dont je te parle (1 sur 3)



Il y eut des enlacements, tu t'en souviens, des moiteurs et des reptations.
C'était gémissements contre gémissements, un monde à jamais éloigné, on aurait dit des réfugiés 20 000 lieux sous les mers. Défilaient des poissons invisibles qui béaient en approbations muettes, dont on se passait bien. Le lit était une île gagnée de haute lutte méconnue de tous.
C'était alors le corps choral, la gemélléité enfin retrouvée, nous étions souples, secrets et affranchis.
Le mot d'ordre était aux soumissions consenties sous le joug de chaque minute ensemble, dans un désordre château-fort, et nous remplissions les douves d'oripeaux devenus pelures, oriflammes abandonnées au sol pour un rituel inlassable.
Nous quittions les clairières pour visiter les lisières, et rallions la meute tacite des animaux sauvages approchant l'eau en glissements furtifs, chuchotant chacun la bouche dans l'oreille de l'autre.
Dans une langue venue d'ailleurs, nous échangions des borborygmes dépourvus de contresens.
Nous repeignions tout en rouge et tenions à bout de bras l'allumette du brasier, défiant quiconque d'approcher. Le combat pouvait commencer.
Il nous laissait exsangues, comme un retrait des eaux, la Bastille après la prise, le bercement infini des cieux. Il ne nous restait qu'à planter le drapeau de la conquête et à s'endormir.
Tels des tatouages revendiqués, nous portions fièrement pendant les heures suivantes les stigmates du corps fêté, zébrures, traces de morsures, hématomes ou tiraillements de tendons, des pieds aux cheveux, cachés derrière nos prunelles.
Dans un monde sauvage, jamais rassasiés, nous vivions le temps du corps célébré.

2 commentaires:

lucia mel a dit…

cela parle au corps et à sa mémoire, cela dit tant... Merci pour ton texte.

Audine a dit…

Ah merci Lucia !!
Oui, le corps et sa mémoire ...