dimanche 21 octobre 2012

Le nombre sacré de Dieu





"Ma s'est penchée pour murmurer à mon oreille, elle m'a répété qu'elle avait besoin que je reste à six ans.
Elle m'a chuchoté ce besoin si immense, l'absence totale de douceur avec Paps et les garçons qui devenaient des Paps. Ce n'étaient pas simplement ces mots chuchotés, mais la profondeur de sa voix mêlée de souffrance, la proximité chaude de ses bleus, qui m'ont électrisé.
En me tournant vers elle, j'ai vu les bosses sur ses joues et la peau violette bordée de jaune. Ces bleus avaient l'air si sensibles, si doux, si pleins de douleur, qu'une excitation, un courant a jailli de mon ventre, s'est répandu dans ma poitrine, un sale chatouillis, a gagné mes bras puis mes mains. Je l'ai attrapée par les deux joues et je l'ai attirée à moi pour un baiser.
La douleur est montée à ses yeux et a transformé ses pupilles en deux grands ronds noirs. Elle a écarté son visage du mien et m'a jeté à terre. Elle m'a maudit, elle a maudit Jésus, ses larmes ont coulé, et j'ai eu sept ans.

...

Le nombre sacré de Dieu, c'est trois.
Alors on était le nombre sacré de Dieu.

...

Quand on était ensemble, on parlait à l'unisson, une voix pour trois, le langage de notre caverne.
"Nous faim", on a dit à Ma quand elle a enfin franchi la porte.
"Nous voleurs", on a dit à Paps quand il nous a surpris sur le toit, prêts à descendre en rappel - et ensuite, quand Paps nous a récupérés et qu'il s'apprêtait à corriger Manny, j'ai glissé à Joel "Nous peur" et Joel a pointé le menton en direction de Paps qui défaisait sa ceinture et m'a répondu, lui aussi tout bas "Nous foutus".
"

"Vie animale" de Justin Torres.
A lire d'urgence.