lundi 5 avril 2010

C'est de nos corps dont je te parle (3 sur 3)




Il y eut des humiliations, tu t'en souviens, des mépris et de la prostitution.
C'était exhibitions sur exhibitions, le spectacle permanent de la dignité abolie, on aurait dit des oies gavées pour le Noël. Défilaient devant nos paupières alourdies des corps sans existence, pressés pour leur quart d'heure de gloire. Le canapé était la chaise sur laquelle l'électricité allait passer.
C'était alors le corps modèle, celui qui allait faire gagner un jeu sans joie, celui qui servait à nos yeux de voyeurs.
Dans un état d'hypnose dans lequel nous nous étions perdus, de tristes pitres nous faisaient prendre des paris en des enchères dépressives. Qui allait tromper qui, qui allait devant les caméras, coucher avec qui, qui allait pleurer le plus, qui allait agresser qui, jusqu'à quel point, qu'allait il se passer devant un feu censé être tribal et qui n'arrivait qu'à être pitoyable. Qui allait électrifier qui.
En guise de divertissement, un décérébrage, une trépanation, l'aspiration de l'instinct de survie.
Ça se passait sur des iles paradisiaques ou dans des lofts reconstitués, au fin fond d'une banlieue parisienne désertée.
C'est d'un détournement dont je te parle.
Le corps calibré pour un désir artificiel, la perte de la sauvagerie, l'oubli de ce que ton corps subit.
L'effacement progressif d'une réalité toute sociale.
Le corps est là pour la mise en scène, ton corps sert à des expériences, que l'on dit des jeux, et c'est tout.
Pendant que sur des iles où tu n'iras jamais, sont amassés des mannequins appelés tentateurs, pendant que l'on débat sur le pouvoir des uns de traiter en objet le corps des autres – et abaisse la manette, ça ne fait pas mal – c'est ton corps qu'on enfouit, que l'on foule aux pieds.

Mercredi 17 mars dernier, 1 500 à 2 000 mineurs et veuves de mineurs sont venus manifester à Paris, entre la Caisse Nationale des Mines et le Ministère de la Santé. Ça ne fait que quelques centaines de mètres. La moyenne d'âge des manifestants était entre 60 et 75 ans.
C'était une manifestation à l'appel d'une intersyndicale des cinq grandes confédérations CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC.
Le 31 décembre 2009, un décret a supprimé des avantages octroyés par le régime spécial des mines, régime pour lequel il fallait cotiser davantage que le régime général.
Jusqu'à cette date, certains frais entrainés par des soins étaient entièrement pris en charge par ce régime.
Après, plus. Ils venaient d'en être informés par un courrier de leur sécu.
Ainsi par exemple, le transport en ambulance vers un professionnel de santé, les déplacements et l'hébergement liés aux cures. Fin également de la prise en charge des médicaments achetés en dehors des 63 pharmacies minières.
Le régime d'assurance maladie des mines, créé en 1946, a 180 000 affiliés. 68 000 sont classés en Affections Longues Durée et 95 000 en maladie professionnelles, non concernés par ces mesures.
Restent donc 17 000 personnes, dont 7 000 actifs. 10 000 anciens mineurs ou veuves de mineurs, les plus concernés par ce décret du 31 décembre étaient donc représentés par 1 500 à 2 000 manifestants.
Jean Lepczynski, 73 ans, ancien mineur de la mine d'Arenberg (Nord) – celle où le film Germinal a été tourné – dit : « Quand on est arrivés de Pologne, les moins productifs étaient renvoyés chez eux avec leur baluchon, moi je suis descendu dans la mine à 14 ans, et quand une mine fermait, on me mettait dans une autre, et là on veut nous croquer nos petits avantages, à nous et à nos veuves ».
Les manifestants réclament qu'on attendent qu'ils meurent, car cela ne saurait tarder.

Trois médias ont parlé des mineurs : un article complet dans l'Est Eclair, (d'où ces informations sont tirées), un bref article dans le Midi Libre, et un communiqué de France Info (repris par France Inter).

Une seule personnalité politique s'est exprimée à ce propos : Marine Le Pen, qui a demandé au gouvernement de supprimer « l'ignoble décret ».


tableau : Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de parquet.

5 commentaires:

Fleur d'hiver a dit…

Ce n'est pas "vendeur" des vieux mineurs qui manifestent.

Ce gouvernement dépasse les bornes de l'ignominie en s'attaquant aux plus faibles, aux plus pauvres. Quelle économie représente la suppression de ces quelques "avantages" à des personnes qui ont travaillé dans des conditions abominables toute leur vie et en mettant leur santé en péril ?

Ecoeurée, je suis écoeurée.

Merci pour Caillebote, j'aime infiniment ce tableau.

Audine a dit…

Fleur : effectivement, et on peut se demander ce qu'il adviendra des victimes de l'amiante, dans quelques années, quand les 100 000 morts à venir reviendront trop cher à une société qui préfère des corps dits parfaits, pour se divertir, au (triste) sens pascalien du terme.

Ce tableau de Caillebote est aussi un de ceux que je préfère : peu de tableaux montrent des (beaux) corps au travail.
Il y a aussi "la pêche au thon" de Dali. Je me le réserve pour un autre billet, peut être, tant tout ce qu'il y a autour de ce tableau est riche.

Suzanne a dit…

"Les manifestants réclament qu'on attendent qu'ils meurent, car cela ne saurait tarder."
ça serre le cœur.(tout le reste de l'article aussi)

mtislav a dit…

J'ai fait un billet sur mon blog. C'est pas que le plancher n'était pas droit...

Le coucou a dit…

C'est très dur, et le silence de tous encore plus, vous avez raison.