dimanche 11 septembre 2011

Jamais rien ne revient (1)


Si je m'éloigne des autres pour prendre le chemin de la Vallée aux Renards, c'est pour mieux pleurer tout ce qu'on perd.


Parmi les maisons que l'on laisse derrière nous, il en est toujours une qui éclaire notre enfance.

Je pleure une maison d'été, plantée en mirador sur plusieurs jardins.

Le jardin d'en haut, « jette ses fruits plein le paysage » et c'est à ces mots de Manset auxquels je pense, quand je revois les amandiers sauvages, les épineux, la lavande et les vieilles pierres blanches et jaunes d'enceinte basse. Nous prenions une pierre et dosions notre coup sur la cosse verte pour l'ouvrir jusqu'au cœur. Il fallait encore déshabiller de sa peau douce l'amande tendre et presque palpitante. Nous avions sur les doigts le sang du fruit pas encore sec et plusieurs stratégies : tout garder de la récolte et de la paume de la main, verser d'un geste rapide une invasion d'amandes dans notre bouche avide et curieuse ; ou ne pas résister, tenter de croquer la moindre miette et faire durer, jusqu'à la suivante. Nous nous enchantions des siamoises, partagées et initiatrices de vœux fiévreusement prononcés mais aussitôt oubliés. Qui se souvient de ses vœux d'enfant ?

Le jardin d'en haut était surplombé par la voie ferrée et nous regardions passer les voyageurs conduits entre Marseille et Toulon à l'aide d'une micheline, nous leur faisions des gestes de la main et nous comptions les wagons des trains de marchandises. Les mures sur le chemin longeant la voie ferrée étaient chaudes, gorgées de soleil, et peignaient la bouche en violet. Parfois des serpents paresseux filaient à notre arrivée.

Une zone plane trace la frontière marquant le début d'un jardin domestique. Des bancs et une table autour d'un palmier, beaucoup de plantes grasses et la descente du garage.

Un muret sur lequel je venais m'allonger pour bronzer et des figuiers.

Il y a une erreur dans la Bible, le fruit défendu n'est pas la pomme, mais la figue.

Comment pourrait il en être autrement, avec cette peau noire et ridée de doré, qui protège tant de sucre, l'enveloppe blanche, banale et fibreuse, et ce trésor de sensation, les pépins qui éclatent, le jus qui poisse, ce rouge d'humeurs. La figue est un fruit sophistiqué et presque pervers et il est celui pour lequel on peut se damner. Pourquoi se damner pour une bête pomme ?

Des rosiers sont partout, caprice floral de ma grand mère. Il y avait un jardinier, et des arrosages à 18 heures, desquels il fallait s'éloigner pour ne pas être attaqué par les moustiques.

Le bruit de l'eau des tuyaux, ténu, le concert incessant des cigales et les trains qui passent, voilà le fond sonore.

En contre bas de la descente du garage, le jardin devient sage. Des allées d'arbres fruitiers, des prunes, des pêches, des abricots. Encore un palmier, immense, totem protecteur de dessous de terrasse.

Des photos souvenirs se faisaient là, et mon frère et moi avons posé sous ce palmier, parfois nous tenant par les épaules, il fallait une image d'Épinal.

Mon frère souriait derrière ses lunettes, il était le bâton de vieillesse de ma grand mère, elle le proclamait.

Plus bas encore, après avoir descendu un escalier, un compost isolé, puis des framboisiers, des fraisiers et des tomates.


La maison a trois chambres, des reproductions de tableaux partout, au dessus du lit de ma grand mère, le champ de coquelicots de Monet.

De mystérieux masques en bois marron foncé trônent sur les murs, anges gardiens des nuits oubliées des colonies, des ailes de papillons dessinent un tableaux de noires portant des paniers sur la tête, les meubles sont blonds, arrondis, à poignée dorée. Sur la commode de ma grand mère, trône une pendule coucou, des oiseaux peints sur porcelaine, une grille ouvragée et dorée qui vient pudiquement cacher les motifs.

Ma grand mère a un jardinier, une coiffeuse à domicile, une dame qui vient faire la cuisine. Paulette est italienne et a un mari alcoolique.

Le salon donne sur une grande terrasse qui domine le palmier accoté au jardin fruitier. Les jours sans brume, on voit la mer. On peut aller à pied sur la plage des Anglais.

Au déjeuner, on mange du melon et des tomates farcies. Kiki, la chatte sauvage et folle se cache sous les meubles et griffe les chevilles qui passent à sa portée.

Le dimanche matin, on se moque de la messe à la télé, et ma grand mère ou mon père chantonne « où est passé mon chapeau » pour rendre le curé ridicule.

Le soir, on boit l'apéritif à la fraiche sur la terrasse, avec les voisins mitoyens de ma grand mère, des amis des colonies. Mes parents disent qu'ils sont radins, sur leur assiette, il n'y a qu'une tranche de saucisson en guise d'entrée. Mais lui, Dado, à 70 ans, va toujours en ville en vélo et fait les pieds au mur. Il est bougon, a mauvais caractère, ma mère et moi trouvons grâce à ses yeux car nous ne sommes pas impressionnées par lui.


Un jour, nous ne sommes plus allés dans la maison de Bandol. C'était juste une disparition, sans tambour ni trompette. Ma grand mère a vendu la maison pour aller dans une maison de vieux. Mon père a vendu ses biens, 700 francs vite fait la pendule dorée aux oiseaux si fins. Il n'est presque plus rien resté. Quelques masques, quelques aquarelles de pêcheurs indo chinois, un coffre superbe ouvragé par des chinois.

Puis ma grand mère est morte.

Et c'est ainsi que notre enfance s'est enfuie.

Incidemment.


lundi 5 septembre 2011

Le ciel ce matin n'est ni rose ni honnête pour la peine


La grande cote qui accoste la rive du Lez me fait mettre pied à terre. L'idée est de se faire un peu mal mais sans masochisme.

J'enfourche et d'un seul coup, il est là, et il me déclare, en me jetant un œil appréciateur vertical, c'est charmant tout ça.

Je dis merci, bêtement polie. Mais aussi rigolarde, le front luisant, la nuque collée, le teeshirt avachi sur les kilos en trop, les yeux cachés derrière les lunettes.

Il me scotche.

Il me demande c'est bien ces vélos, et me fait remarquer que le sien n'a pas de vitesse. Je ne savais même pas que ça existait.

J'ai droit à la biographie. Une histoire de logement que je n'écoute pas, il est vigile chez Métro.

Il veut qu'on se revoit.

Je lui file un numéro de téléphone, il est content, il le rentre dans son téléphone, avec des doigts qui sortent de mitaines sportives.

Il me demande si je vais tout droit en me désignant les bords du Lez. Je dis oui alors il me dit je vous attends après les graviers, je n'aime pas les graviers avec ce vélo, ça me fait peur.

Je ne comprends pas bien.

Et pour me montrer sa virilité de vigile, il donne de grands coups de pédale sur son vélo sans vitesse et rapetisse devant moi.

Je coupe le terrain vague et rentre par un autre chemin.


Quelques jours après, sur le retour d'une autre balade, je le croise, sur le passage des graviers. Il marche dignement à coté de son vélo. Il me reconnaît et il crie non mais attendez attendez et moi je roule en le laissant derrière, je sais qu'il ne va pas me suivre, il y a des graviers.

Sous la douche, je ricane.

Mais demain c'est lundi.


Jour qui pointe, radio, rentrée, chats qui vieillissent.

Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent.

J'ai un nouveau poste mais je ne peux pas le prendre. J'attends une secrétaire, un arrêté préfectoral de nomination, un téléphone portable et une boite mail dédiée.


vendredi 20 mai 2011

je me sentais maudite*



Ah ça fait du bien, d'entendre la journaliste québécoise Denise Bombardier parler de l'affaire DSK sur France Inter ce matin !
Parce que tout de même, après ce bal des faux culs, ces déceptions ...
Badinter, ... Qui vient expliquer son indignation sur la façon dont est traité DSK, puisqu'il ne lui ait pas appliqué la présomption d'innocence, en le montrant alpagué par les flics ricains, menotté ...
Ces chœurs automatiques, "le pauvre il est tombé dans un piège" ...
Le Canard Enchaîné qui explique doctement que certes tout le monde sait, mais tout le monde sait quoi ? DSK est présenté comme un libertin et les journalistes sont vertueux de ne pas "entrer dans les chambres à coucher" ...
La France, la belle France, ses séducteurs, son art de l'amour, son respect de la vie privée.
Qui va nous saouler pendant des mois en exposant les échographies de Carla.
Qui appelle "drame passionnel" le meurtre à coups de poings d'une actrice par un chanteur.

Alors oui c'est bien la séduction. C'est agréable les hommes entreprenants.
Oui on a le droit de courir les soirées échangistes.
Mais la France, la société française, a un problème sérieux avec le consentement.

DSK aime [trop] les femmes, c'est sa faiblesse.
De ce qu'on lit à droite à gauche, ce qu'aime DSK, c'est poursuivre, conquérir, soumettre à ses envies, à ses pulsions.
C'est faire craquer à force de textos insistants.


Ben alors, et la présomption d'innocence ? Et si c'est un piège ?
Je parle là de son comportement avéré, pas de cette plainte.
Si c'est un piège ?
Mais si c'est un piège, il est tombé dedans !
Ça change quoi ?
Imaginez une plainte pour corruption de fonctionnaire : ah ben c'était un piège !! donc ça ne compte pas ??

S'il y a une leçon à retenir de cette histoire, ça n'est pas "puissant un jour, misérable le lendemain", ce qui fascine tout le monde - c'est vrai que le coté tragédie antique est fascinant.
S'il y a une leçon à retenir, c'est qu'entre être entreprenant et être violeur, la notion de consentement doit se poser là.
Il faut apprendre à la reconnaitre.
Et arrêter de considérer qu'il s'agit uniquement de la faiblesse d'un homme, de la faiblesse de DSK.
Car il s'agit d'une faiblesse d'éducation, de considération de la femme, profondément, il s'agit de la façon dont une société considère les relations entre les hommes et les femmes.



* ce titre est la reprise d'une expression écrite de Piroska Nagy, ex économiste hongroise au FMI, "séduite" par DSK.

mercredi 4 mai 2011

Mais qu'est ce que ce monde là

Le secrétaire national de mon syndicat, Luc, s'est jeté du 5e étage, dans l'escalier de l'immeuble du Ministère du Travail, quai de Javel.

Je connaissais Luc et militais à ses cotés depuis plus de 20 ans.
Lui, quelques autres et moi, nous avions monté le syndicat CFDT ministère du travail en Ile de France.
Lui, beaucoup d'autres, et moi, nous avions quitté la CFDT suite à sa trahison sur les retraites.
Lui et quelques autres ont créé ce syndicat affilié à la FSU et que j'ai rejoint.

Les 20 et 21 avril, à Javel, j'ai mangé avec Luc et d'autres camarades dans un restaurant thaïlandais. Lors de ces deux jours, j'ai classé avec lui des dossiers syndicaux, parlé d'une victoire juridique devant le Conseil d’État, élaboré des stratégies en vue de futures élections professionnelles. Nous avons aussi débattu du port du voile - nous n'étions pas tout à fait d'accord.
Ce midi, il avait rendez-vous pour déjeuner avec sa femme, une collègue que je connais aussi depuis plus de 20 ans.
Elle est arrivée juste après les pompiers.

Nous sommes terrassés.

Je reviendrai sur ce geste d'une violence inouïe.

Ce que je voulais juste vous dire, c'est que jamais je ne laisserai dire que son suicide est du à "des problèmes personnels".

mardi 3 mai 2011

Je racisme, tu racismes, il ou elle ...


Ça serait bien de réfléchir sur la définition du mot "racisme".

Il me semble que Didier Goux a raison, sur ce sujet.

Il me semble qu'il y a des ayatollahs de l'anti-racisme.
Une police de la pensée.

Et c'est là où je cale : est ce que l'on doit traquer des "pensées racistes" ? quand alors doit on s'arrêter de penser pour ne pas être raciste ? Est ce que le racisme commence à la pensée ?

A mon sens, on ne peut pas vivre dans une société qui définit le racisme dès la pensée. On ne s'en sortira pas. On va devenir fous.
Il faut séparer la pensée des actes.
Confondre la pensée et l'acte, en matière de racisme, c'est prendre l'intention pour la commission.

Ne relevons pas l'infraction de la pensée, ne verbalisons pas le discours.
Jugeons sur acte.
Lorsqu'on est juge.


(billet dédié à Dorham et à Manu, avec une pensée pour Nicolas, parce que je n'ai pas eu le temps de commenter son billet du 1ier mai, qu'il en avait déjà pondu 10 autres)

Crédit photo : August Sander, bohémians, 1925.

vendredi 29 avril 2011

Ici

Fuir la kètéwilliamisation


prendre des forces

pageots (ex)


distance


silence


immense




(merci à Nicolas, Gaël et Gildan pour l'aide technique)


vendredi 14 janvier 2011

Janvier frileux gèle la merlesse sur les oeufs.


J'avoue que j'ai triché un peu : c'est le dicton du 15 janvier (et là peut être que vous, vous n'êtes pas le 14 mais moi si).
Celui du 14 disait : "Janvier chiche d'eau fait le paysan riche".
D'un autre coté, ça n'est pas mal non plus, ça fait économiste rural. Ou contrepèterie. Mais ça fait moins clin d'œil à Suzanne et c'est dommage.
Celui que je préfère c'est celui du 12 janvier. Et comme il faut que j'attende presque un an avant de vous le mettre, je vous le mets maintenant :
Il vaut mieux voir un voleur dans son grenier qu'un laboureur en chemise en janvier


Source : dicton du jour - citation

"Il vaut mieux voir un voleur dans son grenier qu'un laboureur en chemise en janvier".
Ça fait rêver je trouve, l'idée de devoir choisir entre deux rencontres aussi incongrues.

A propos de laboureur, ça me rappelle un Noël organisé par l'association des prestations sociales et culturelles de mon travail. Je ne pouvais pas emmener ma fille au spectacle offert, elle devait avoir entre 5 et 8 ans, et ce sont mes parents qui s'en sont chargé. C'était un spectacle de Dorothé, avec les Musclés. Les Musclés, c'était les boys-band de Dorothée, des types qui faisaient le spectacle autour d'elle. D'ailleurs je ne sais même pas si elle se produisait elle-même.
Mes parents sont rentrés assez furieux, jurant mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus.
Ils m'avaient expliqué le style musical des Musclés en citant un extrait de paroles qui était celui là : "le paysan dans son champ laboure et le soir quand il rentre retrouver sa femme il la bourre aussi". Véridique juré craché.

Ce qui fait que non, le niveau ne baisse pas tant que ça.

A une autre fois, si vous le voulez bien.

(j'attire votre attention sur la reprise de blogage des sieurs Dorham et Balmeyer, dont les nouveaux blogs s'appellent tous les deux apostrophe s posterous, et même si je n'ai aucune idée de ce que ça peut bien vouloir dire - et que j'ai la flemme de chercher - leur lecture est un vrai délice qui déclenche l'hilarité assez fréquemment voire l'émotion. Ils sont en lien, là, juste dans la colonne de droite).